Quand ils ne jouent pas, Chloé Germaine et Paul Wake sont chercheurs à la Manchester Metropolitan University. Leur récent travail de recherche s’appuie sur le jeu et ses ressorts pour aborder la crise climatique et imaginer un futur plus radieux. Ce projet d’étude est lauréat de l’édition 2021 du programme pour l’éducation et la jeunesse du Game in lab, soutenu par la Fondation Libellud.
Depuis Manchester, les deux fervents joueurs nous invitent à la réflexion sur le rôle du jeu et des jeunes dans la construction d’une réponse au défi climatique. Rencontre.
Bonjour Chloé, bonjour Paul ! Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Bonjour, je m’appelle Chloé Germaine. Je suis enseignante universitaire et chercheuse à la Manchester Metropolitan University, au Royaume-Uni. J’enseigne la littérature anglaise. Mes recherches portent sur les jeux analogiques (jeux de société et jeux de table), l’environnement et les jeunes. Je suis également conceptrice de jeux et j’écris des jeux de rôle.
Bonjour ! Je m’appelle Paul Wake et je suis également universitaire au département d’anglais de la Manchester Metropolitan University où j’enseigne et mène des recherches sur la théorie narrative et les jeux. Mon travail porte essentiellement sur les jeux analogiques et les livres de jeux, et j’ai conçu deux jeux sur la crise climatique – un jeu de cartes appelé Carbon City Zero et une extension “Global Warming” pour le jeu de plateau Catan® de Klaus Teuber.
En quoi consiste votre projet de recherche ?
Notre projet vise à déterminer comment les jeux de société peuvent aider les jeunes à comprendre la crise climatique et à agir en conséquence. La crise climatique est un problème social et un défi imaginatif qui touche tout le monde, mais l’avenir des jeunes est particulièrement concerné.
Les chercheurs considèrent depuis un certain temps les jeux de société comme un outil d’éducation climatique, mais nous pensons qu’ils peuvent également être un moyen par lequel les jeunes peuvent explorer et communiquer leurs idées sur le changement climatique, la transformation sociale et l’avenir.
Dans ce projet, les jeunes joueurs travaillent avec nous en tant que co-chercheurs et nous sommes intéressés par leurs idées sur la façon dont nous pourrions créer de meilleurs jeux de société pour aborder la crise climatique.
Quelle est l’origine de ces travaux ?
Nous avons tous deux travaillé sur le changement climatique de différentes manières. Paul a conçu le jeu de cartes collaboratif Carbon City Zero (avec Sam Illingworth, de l’Université Napier d’Édimbourg) pour l’organisation caritative Possible. Le jeu a été lancé sur Kickstarter en 2020, puis il a été utilisé pour sensibiliser divers publics à la question du changement climatique.
Chloé a travaillé avec Benjamin Bowman sur un autre projet de recherche participative utilisant la lecture et l’écriture créative pour aider les jeunes à explorer leurs idées sur le changement climatique. Ce projet s’est inspiré de la créativité que les jeunes ont développée lors des manifestations pour le climat Fridays for Future.
Nous avons pensé que les jeux étaient un support idéal pour développer ce travail avec les jeunes. Les jeux de société encouragent le jeu collaboratif, la discussion et la réflexion et nous les avons vus non seulement comme un moyen d’engager les jeunes sur la question de la crise climatique, mais aussi comme une méthode de recherche créative pour explorer davantage les idées des jeunes sur le changement climatique.
Comment le jeu de société peut-il aider à mieux comprendre la crise climatique ?
C’est une très bonne question, et c’est en partie ce que nous espérons découvrir à travers nos recherches. Notre projet ne vise pas tant à communiquer des informations sur la crise climatique qu’à engager les participants dans des conversations et à favoriser une réflexion active et critique.
Ainsi, plutôt que d’aider les participants à comprendre la crise climatique, nous espérons pouvoir nous appuyer sur les connaissances qu’ils ont déjà sur le sujet – les voix des jeunes sont incroyablement importantes et nous espérons pouvoir y accéder par le biais du jeu et de la conception de jeux.
Quelle sera la durée de votre étude ?
Nous disposons d’un financement pour douze mois, au cours desquels nous organiserons un hackathon et une série de groupes de discussion avec nos jeunes co-chercheurs.
Comment vont se dérouler vos travaux ?
La phase de planification, que nous menons actuellement, consiste à recruter des jeunes pour travailler avec nous et à présenter les jeux que nous voulons explorer dans nos ateliers. Les jeunes auront, en fin de compte, le dernier mot sur les jeux que nous étudierons.
Nous passerons ensuite à la phase d’atelier, au cours de laquelle nous travaillerons avec un artiste – Matteo Menapace – pour “bidouiller” (“to hack” en anglais) des jeux de société existants avec nos jeunes co-chercheurs, afin de trouver des façons différentes de jouer à ces jeux.
Notre étude utilise des groupes de discussion pour réfléchir aux ateliers, explorer de nouveaux principes de conception et aider les jeunes à exprimer leurs idées sur le changement climatique qui ont émergé pendant le jeu.
Qui seront les jeunes avec lesquels vous travaillerez pour mener cette étude ?
Nous travaillons avec des jeunes âgés de 16 à 19 ans de la région du Grand Manchester, au Royaume-Uni. Nous encourageons les petits groupes d’élèves des écoles de la région à s’inscrire. Les jeunes n’ont pas besoin de s’identifier à des “activistes climatiques” pour prendre part à cette étude.
En fait, certains d’entre eux rencontrent même des obstacles à la participation à l’action climatique et ne se considèrent pas comme des écologistes. Nous pensons que les jeux peuvent être un bon moyen d’inclure davantage de jeunes dans les conversations sur le changement climatique.
Nous avons souvent l’impression que les jeunes en savent beaucoup plus sur le climat et sont plus impliqués sur ces questions. Pourquoi se concentrer sur eux ?
Depuis cinq ans, les jeunes sont à l’origine de l’appel à l’action sur le changement climatique. Ils sont bien informés sur les faits, très organisés et motivés pour se faire entendre. Ils s’intéressent également à la justice climatique et à la création d’une solidarité entre les groupes qui sont affectés différemment par le changement climatique.Ce mouvement a beaucoup à nous apprendre sur la manière de plaider pour le changement dans la société.
Cependant, il est injuste de faire porter tout le poids de l’activisme climatique sur les jeunes, alors qu’ils sont les plus touchés par ce phénomène. Les jeunes sont toujours exclus du pouvoir politique et des institutions et leurs appels à la justice climatique sont souvent ignorés. Nous nous demandons comment nous pouvons mieux soutenir les jeunes et être leurs alliés. L’un des moyens est de soutenir leur éducation climatique, ce que fait ce projet.
Cependant, nous voulons aussi amplifier la créativité des jeunes. Comme le dit notre co-chercheur Ben Bowman dans son travail sur les grèves du climat (Fridays for Future), les jeunes impliqués dans l’action climatique ne se contentent pas de formuler une série de revendications politiques : ils essaient d’imaginer un monde meilleur.
Nous pensons que les jeux et le game playing peuvent soutenir ce processus. Nous pensons également que les jeunes ont beaucoup à offrir aux concepteurs et éditeurs de jeux et que leurs idées sur le changement climatique seront utiles pour développer de meilleurs jeux sur le sujet.
Comment votre projet pourrait-il influencer le jeu de société de demain ?
Notre méthodologie repose sur le hacking. Nous voulons remettre en question l’idée que les jeux sont des “produits” et qu’il n’y a qu’une seule façon d’y jouer. Le “piratage” des jeux nous aidera à trouver de nouvelles façons de jouer et de penser. À partir de cette méthode, nous espérons développer une ludographie annotée, rédigée par nos jeunes co-chercheurs, qui commentera les jeux existants qui, selon nous, sont utiles pour explorer la crise climatique.
Nous souhaitons également aider nos jeunes co-chercheurs à élaborer des principes de conception de jeux que nous partagerons avec des concepteurs et des éditeurs. Nous pensons que leurs idées seront précieuses pour la prochaine génération de jeux sur le changement climatique.
Vous êtes l’un des lauréats de l’appel à projets Game In lab. Comment l’avez-vous connu ?
Nous cherchions des moyens de relier nos recherches à l’industrie et nous avons découvert le travail de Game In Lab dans ce processus.
Comment cela va-t-il aider votre travail ?
Le financement que nous avons reçu de Game in Lab nous aidera de plusieurs manières. En plus de nous permettre de couvrir les coûts liés à la fourniture de matériel dont nos participants ont besoin, le soutien de Game in Lab pour la promotion de notre travail auprès du public le plus large possible est inestimable.